• PARFUM DE TILLEUL

    Le parfum de tilleul s’inscrit dans les souvenirs. Il s’inscrit au travers des saisons. Il s’écrit dans le temps.

    Les mois printaniers s’achèvent. Dans les bois, un parfum inoubliable est exhalé par les fleurs d’un tilleul aux petites feuilles en forme de cœur (Tilia cordata Mill.). Dans son  « formulaire de parfumerie », le pharmacien chimiste, René Cerbelaud, évoque sa puissante et très florale odeur de miel. Il décrit une plus fine senteur pour le tilleul à grandes feuilles (Tilia platyphyllos Scorp.), le tilleul de Hollande. Son effluve  nous renvoie directement en enfance. Courant un jour de kermesse, au milieu d’une cour d’école sous cet arbre spectaculaire qui fleure bon les vacances…l’été est proche.

    A peine ces deux espèces annoncent-elles la fanaison que nous oublions leur essence envoûtante  pour celle musquée du tilleul argenté (Tilia tomentosa Moench.), répertorié par E.Guenther dans son ouvrage « the essential oils ».

    Pendant le mois de juillet, cet arbre fleuri bourdonne : ce sont les abeilles qui visitent le fond des corolles. Elles récoltent le miellat produit par les pucerons. Le fruit de leur travail, obtenu de retour à la ruche, sera un miel mono floral d’une couleur ambrée et claire. Une couleur qui évoque les accords d’une classe de parfum, celle des orientaux. Ce miel liquide, lors de sa dégustation, à vue de nez, libère une flaveur mentholée.

    Vers la mi-août, le règne odorant de ces arbres mellifères semble se terminer. Pourtant, il en existe un, peu connu, qui se maquille de fleurs blanches parfumées : le tilleul de Mongolie (Tilia mongolica  Maxim). Il se pare d’un feuillage dentelé blondissant d’une couleur rougeâtre à jaune. Ce tilleul aux feuilles de vigne lie un  printemps à un automne. Un temps pour déguster des vins blancs jeunes dont les cépages offrent l’arôme primaire de la fleur de tilleul. Tandis que pour des vins de garde s’épanouit un arôme, une autre fleur  jaune et verte,  lié intimement : l’arôme de genêt.

    Les industries de matières premières pour la parfumerie n’eurent pas de difficultés pour cueillir la senteur de la fleur du genêt ; grâce à des méthodes d’extraction aux solvants volatils. Le produit résultant de ces traitements est une essence absolue. Elle présente des facettes odorantes sucrées, florales et herbacées. Cette matière mêle  la cire d’abeilles au néroli, l’huile essentielle de fleur d’oranger. S’ajoutent des notes vertes et sèches de foin, de tabac, que l’on rencontre dans les absolus de narcisses ou de jonquilles.

    Pour capturer l’odeur naturelle de la fleur de tilleul ce fut d’une autre histoire.

     A l’instar du jasmin étoilé, des essais ont été essayé par la technique minutieuse de l’enfleurage à froid. Ce procédé, utilisant les propriétés de certaines graisses animales,  ne produisit, pour le cas du tilleul, que des rendements insignifiants.

    Dans son recueil de  « technique et chimie des parfums naturels », Yves René NAVES expose les travaux  du chimiste M.IGOLEN de 1938. Il extrait expérimentalement le tilleul du sud de la France. Pendant les récoltes de juin à juillet, il teste les fleurs de la région de Vaison-la –Romaine. Il choisit celles du tilleul à grandes feuilles, (Tilia grandiflora ou Tilia platyphylla, selon la taxinomie botanique), réputé pour son odeur suave. Les fleurs fraîches étaient extraites par l’éther de pétrole  et rendaient faiblement (0,33%) une concrète dure et cireuse d’une couleur verte et sombre. Le même protocole avait été réalisé sur des fleurs séchées qui donnaient un rendement plus généreux (0,915%) d’une similaire concrète. L’odeur des deux produits suggérait une note de foin coupé qui n’était pas caractéristique du tilleul.

     Parallèlement, Yves René NAVES se pencha sur les fleurs très odorantes du tilleul argenté (Tilia tomentosa ou argentea, selon les botanistes) au parfum rappelant le miel et la jonquille. La concrète obtenu était, cette fois-ci, d’une consistance molle et d’une couleur orangée. Son odeur rappelait la molécule d’hydroxycitronnellal, définie par la chimie de synthèse, avec un fond de verdure dû aux bractées. Après le traitement de ces concrètes avec de l’alcool éthylique, IGOLEN  recueillit des essences absolues vertes et visqueuses. Les rendements étaient de 32% pour la concrète issue de fleurs fraîches et de 19 % pour la concrète des fleurs sèches. La distillation à la vapeur d’eau de l’absolu des fleurs fraîches donna 5,7 % d’une huile semi-solide jaunâtre. L’odeur de cette huile devenait évidente uniquement à forte dilution et ressemblait vaguement à celle du tilleul.

    Les résultats olfactifs pour le tilleul étaient peu convainquant pour l’industrie de la parfumerie.

    Il fallait donc identifier les composants de ce charmant parfum. Au début du 20ème siècle, un seul composant fut identifié dans l’essence naturelle de tilleul et de certaines autres fleurs… une fleur d’oranger, de tubéreuse,  la rose. Cette substance  délicate est le farnésol. Son nom provient du cassier de la famille des mimosas : l’Acacia farnésiana. En 1923, le professeur Léopold RUZICKA, prix Nobel, détermine la constitution du farnésol. A cette même époque, il fait aussi la synthèse d’une autre molécule, le nérolidol, découverte, en 1902, dans l’huile essentielle de néroli par les chimistes Hesse et Zeitschel.

    Le siècle d’une chimie synthétique.

     En 1908, Chuit, à partir d’une huile essentielle de citronnelle de Java, offre aux parfumeurs l’hydroxycitronnellal. Cette molécule deviendra l’un des matériaux indispensables de la formulation. Elle donne l’idée d’approcher une fleur de tilleul mais aussi bien celle du muguet, matière  naturellement  indomptable. Cette révélation permit en 1912 au parfumeur Bienaimé de chez Houbigant d’offrir un des plus beaux parfums par « Quelques Fleurs ».

    Le bonheur est dans la nature.

     Dans les années 1930, les fleurs d’un arbuste de Floride, Lyona ferruginea Nutall, connu sous Andromeda ferruginea Walter, furent traitées par des solvants volatiles et rendirent une huile dont l’odeur ressemblait dans l’ensemble au profil odorant du tilleul. Son odeur était proche de la tonalité florale  de l’hydroxycitronnellal et miéllée de l’acide phenyl acétique. Cette huile était précieusement vendue, produite à de très faibles et rares quantités.

    Récemment, deux universités de Turquie  ont réalisé  une étude scientifique concernant les huiles essentielles de diverses espèces de Tilia .L : platyphyllos, argentea et rubra. Les différentes parties de chaque arbre ; les fleurs séchées à l’air libre, les bractées et les feuilles furent soumises à une hydro distillation pendant trois heures. La teneur de chaque constituant fut révélée par chromatographie et identifiée par spectrophotométrie de masse.

    Des résultats précis et précieux pour un parfumeur qui souhaite comprendre et s’approcher de l’élixir, en définir son sens et composer son aura.

    La première molécule toujours plus diligente, était du limonène. Elle constitue la majeure partie des huiles essentielles d’agrumes, particulièrement celle de l’orange (Citrus sinensis) et du citron (Citrus limon), d’où provient son nom. Peut être, à l’origine du nom anglophone donné au tilleul : lime tree. Lime traduit  le nom d’un agrume acide, petit citron à l’épicarpe verte des régions du Mexique (Citrus latifolia ou aurantifolia). Sa fragrance est aldéhydée et pétillante. Ce fruit est parfois confondu avec un autre hespéridé plus doux, la limette méditerranéenne (Citrus limetta).

    Des molécules à la fonction chimique alcool suggèrent les régions de la méditerranée. Exemple : le 1-8 cinéol recensé dans certaines espèces de romarins ou les eucalyptus. Son synonyme,  l’eucalyptol, une note fraîche et médicinale comme le methyl salicylate que contiennent les bractées de Tilia rubra.

    D’autres, plus aromatiques : le thymol à l’odeur caractéristique des huiles essentielles de thyms ou l’anethol à l’odeur anisée du fenouil.

     Dans les bractées des espèces rubra et argentea, légèrement  dans le feuillage de platyphyllos, se décèle le cis 3 hexenol. Ce dernier inspire aux nez  zen des souvenirs d’herbes fraîchement coupées.

    Les chercheurs ont répertorié, de ces différents végétaux, des groupements d’atomes associés aux odeurs de menthes. La menthone et l’iso-menthone ont été détectés dans les tiges (platyphyllos) et le feuillage (platyphyllos, argentea). Le menthol, qui caractérise le parfum du miel de tilleul et évidemment celui de la menthe poivrée (Mentha piperita), rafraichit les fleurs et les feuilles de ces tilleuls. La pulegone est présente, deci-delà, au sein des trois espèces. Elle donne le nom à la menthe pouliot (Mentha pulegium). La carvone présente à tous les niveaux de l’arbre est caractéristique de la menthe verte (Mentha spicata), sous sa forme moléculaire lévogyre. Sous l’énantiomère dextrogyre, elle rappellera  les graines de carvi (Carum carvi). Au sein des feuilles, les tilleuls renferment du linalyl acetate comme Mentha citrata et la bergamote de Calabre au sein de sa peau.

     La présence de molécules-roses, fleurissent le Tilia platyphyllos et l’argentea avec le citronellol et le géraniol, beaucoup plus présent dans leurs  bractées. A ces niveaux, la béta ionone et ses dérivés amènent des touches de violette fruitées.

    La présence de nérolidol, lui, caractérise la fleur d’oranger connue pour sa douceur et son calme.

    Des caractères plus épicés marquent et différencient le tilleul argenté grâce au méthyl eugénol et à l’eugénol contenu abondamment dans le clou de girofle.

    La  force et la longévité du tilleul sont attribuées à l’alpha cédrène et au cédrol qui représentent les marqueurs de l’essence distillée du bois imputrescible du cèdre.

     Dans leur  étude publiée par les journaux des recherches scientifiques des  huiles essentielles, (J.E.O.R de mai et juin 1999), les auteurs citent le travail de Buchbauer. Ce chercheur  fait l’analyse in vivo des fleurs  par la technique de l’head space (espace de tête). Il attribue la suave et douce odeur de fleurs du tilleul à l’indole et au 2-phenylethylacetate.

    Le profil olfactif se dessine.

    Cet arbre majestueux et cordial offre à l’artiste-parfumeur  une palette d’odeurs pour donner la couleur d’un parfum.

    Olivia Jacobetti réinterprète la formule centenaire du « Tilleul » des Parfums d’Orsay. Elle enchante d’une sonate tendre par un départ frais de feuilles de citronnier et de graines d’angélique. Elle annonce un chœur floral de tilleul sur un fond de cire d’abeille et de bois d’acacia. Elle féminise la fraîcheur des soirs d’été et les souvenirs d’enfance.

    L’ « Extrait de Songe » de l’Artisan Parfumeur accapare ces moments nocturnes en une eau douce sans notes hespéridées. Les notes de tête aromatiques se composent grâce aux feuilles de menthes. Son cœur fleurit de rose, de fleurs d’oranger et de tilleul pour se fondre dans un sillage musqué et boisé.

     J’enferme mon souvenir dans un flacon ; comme pour l’ »Eau d’Hiver » crée par Jean-Claude Ellena,  une eau chaude, remplie d’hédione.

     Dehors, la fraîcheur glaciale de la neige. Lorsqu’on entre, une infusion maternelle de fleurs, sucrée par le miel sur la cuillère plongeante, vous inonde les narines d’amour. Du bois est sec devant une cheminée. Dans cette cuisine d’épices, ma grand-mère me tend un bol. Elle me demande d’être patient afin ne pas me brûler. Une madeleine…

     


  • Commentaires

    1
    pavageau loic
    Vendredi 26 Novembre 2010 à 19:04
    santeur tilleul bergamote
    bonsoir je recherche activement un diffuseur aux arome Tilleul Bergamote pour parfum d'ambiance . Aussi je m'adresse à votre site pour savoir si vous possédez ce type de produit . je vous remercie d'avance pour une information cDT PL
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